INTERVIEW DE DANIK ZANDRONIS
Ce blog malheureusement n'existe plus sur CC1 ! Cet entretien date de 2009, mais il semble tellement d'actualité dans le fond après 4 ans que certains lecteurs avisés me le réclamaient absolument depuis déjà longtemps ! C'est fait et merci de me lire !
Interview de DANIK ZANDRONIS
1.
Presque un an et 10 000 lecteurs sur votre blog
hébergé par CC1 ! Qu’avez-vous appris de ces internautes ? Quels sont les
sujets les plus récurrents ?
C’est en effet une immense joie de constater sur le
compte-tour de statistique que 10 000 lecteurs ont visité mon Blog !
Ecrire c’est partager avec l’autre et on n’écrit
jamais pour soi, sinon ce serait une forme d’autosatisfaction
morbide.
L’outil internet joue véritablement son rôle et le
lecteur en général trouve son compte. Il affirme franchement son accord quand
les idées lui plaisent et il n’hésite pas à faire remarquer aussi son
mécontentement quand c’est le contraire. Tout va bien tant que les gens se
respectent !
Le grand mérite de CC1 est d’avoir, grâce au Net,
instauré un dialogue, une réflexion et un échange permanents surtout à un
moment propice où la Guadeloupe se cherche, se questionne et s’observe. Elle
souhaite réellement que ses Auteurs se mouillent et que même Monsieur tout le
monde donne ses impressions sur l’analyse sociologique du Pays, tout en essayant
bien sûr d’apporter quelques solutions pour améliorer le système.
Des internautes en fait, je retiens la discussion, le
débat et le partage des idées. Sur CC1 certains d’entre eux sont des
inconditionnels qui apprécient particulièrement cette dynamique. C’est une très
bonne chose dans le fond, surtout quand les
idées sont pertinentes.
Je regrette parfois un certain emportement, ou plus
exactement un manque de tolérance réciproque. Si nous étions tous toujours d’accord,
il n’y aurait que des monologues. Comme je dis
souvent « c’est de la contradiction que jaillit la diction ». Par
conséquent, acceptons volontiers que l’autre ne soit pas toujours en phase avec
nous puisque cela nous permet aussi de progresser.
Au niveau des différents sujets, il est manifeste que
la question « sociétale » est au premier plan. Les grèves en début d’année
ont terriblement marqué les esprits. On est
loin d’avoir tout dit, tout analysé et tout compris de ces évènements.
Nombreux sont ceux qui aimeraient déchiffrer les raisons
qui ont fait éclater ce magma social. Nombreux
sont ceux qui aimeraient savoir si nous en sommes enfin sortis ou alors, si
nous ne faisons que commencer à y entrer réellement !
Une chose est fondamentale et JEGO l’avait
comprise : le temps de la communication
est venu, le temps de la vérité est venu, le temps du dialogue est plus que
jamais de rigueur !
Le Guadeloupéen epsilon ne veut plus être spectateur
de son histoire. Il veut être celui qui dorénavant sera et fera l’Histoire. Il
se sent magistralement Acteur.
Est-ce une mauvaise chose dans le fond ? A priori et de manière simpliste, je dirai
NON !
Veut-il être
Acteur avec ou sans la France ? Je dirai qu’il se sent pour l’instant
profondément français. Il tient même à ce que la France promeuve et aide au
développement du pays, ne serait-ce que par ses responsabilités historiques
vis-à-vis de la
Guadeloupe.
Jusqu’à quand ? Personne ne le sait !
Les générations à venir auront à gérer ces notions de perspectives.
Mais, il est évident que l’homme guadeloupéen se sent totalement investi dans
la réflexion d’aujourd’hui avec la France, à côté de la France pour son mieux
être, mais non « en » la France. La crise sociale est aussi et surtout une
crise existentielle ! Le sacro-saint français est en pleine
démystification et c’est tant mieux !
Peut-on entraver le cours de l’histoire, tout comme le
cours de la rivière ou celui de la mer ? Non !
Malgré les grandes difficultés actuelles ou
probablement à cause de ces grandes difficultés, la Guadeloupe se réveille
comme un après Hugo et elle se rend compte des dégâts causés, en se disant qu’il va falloir se retrousser les
manches !
Une grande « prise de conscience »
face à la situation économique locale et mondiale lui dicte manifestement
d’être plus que jamais au fait des solutions à envisager. Le Guadeloupéen
« nouveau » est un individu préoccupé et soucieux de son devenir
! La vraie question est le choix des hommes pour mener à bien notre
challenge !
L’un des problèmes immédiats auxquels la Guadeloupe doit faire
face sans plus tarder, c’est sa Jeunesse.
J’appelle à la mise en place rapide des
« Etats Généraux de la Jeunesse
Guadeloupéenne ».
Cette jeunesse abandonnée, désœuvrée et laissée pour
compte depuis la classe de troisième d’autant plus lorsqu’elle se trouve en
situation d’échec scolaire !
Il va falloir que les adultes (particulièrement
les pères) dans ce pays retrouvent et réinstallent le dialogue avec leurs fils pour
un grand exorcisme de la réconciliation.
Où sont les pères ?
Où sont ces pères de 40-50 ans qui ont abandonné la
chair de leur chair dans la souffrance
affective et dans le non-repère social
et civique ?
Il est ici, trop facile de toujours
incriminer les « mères » comme les seules et uniques responsables du
garçon qui a mal tourné !
2.
Vous êtes un littéraire, romancier, …d'abord
un homme du « livre papier », on parle beaucoup du livre « numérique », y
croyez-vous ?
Je pense sincèrement que le livre numérique ne
marchera pas ! Et il en sera mieux ainsi !
Pour le vrai lecteur, le puriste, le contact physique
avec l’objet « livre » est un cérémonial irremplaçable !
Que de temps en temps, sur un sujet précis nécessitant
des recherches, l’on consulte un livre sur le Net cela pourrait éventuellement
se comprendre. Mais, cette technologie ne peut se substituer à une bibliothèque
matérialisée. Oui, c’est vrai que l’on se pâme de plus en plus devant l’infinie
possibilité du virtuel mais, il y a des livres avec lesquels on voudrait volontiers
être enterrés !
Le livre a une odeur, le bruitage de la feuille que
l’on tourne, le toucher du papier, le dernier chapitre que l’on aborde en se demandant quel sera le dénouement ? Il y a
quelque chose de pratiquement comestible, dans la poésie par exemple !
Le livre que l’on trimballe partout comme un compagnon
de route, avec qui on converse. On le plie, on
le corne, on écrit dessus, on fait des ratures quand on désapprouve, on
acquiesce par un oui écrit, on souligne etc. …
Qu’est-ce qui peut vraiment remplacer le livre sinon
le livre ?
En plus, la lecture à l’écran est fatigante et
désagréable. Lire plus de dix pages sur un
ordinateur est une corvée. On est bien souvent obligé de sortir en pagination
un texte si on veut réellement s’en imprégner au
risque de passer à côté de son essentialité.
3.
Comment expliquez-vous ce foisonnement littéraire,
poétique, et culturel à Marie-Galante : Tirolien, Rousseau, Rippon, Vérin,
Leclaire, Rutil ... etc. …et un gros festival ?
Il serait effectivement intéressant sociologiquement de
tenter de comprendre l’existence de ce foisonnement comme vous dites. Je dirai
simplement que Marie-Galante est un Pays de très grandes luttes historiques. L’esclavage
en ce lieu a été terrible. Depuis cette époque,
la double insularité nous jouait déjà de très vilains tours. Ce qui était aboli
en Guadeloupe était encore en vigueur chez nous.
Je veux surtout parler des tortures, puisque rares étaient les hauts dignitaires qui
venaient vérifier quoique ce soit sur les îles. Le maître était le maître et sa
parole était évangile. Ce qui explique
l’existence de nombreux trous de marronnage.
Les événements de 1848 à l’abolition en témoignent et
en 1849 aussi, lors de la députation, on connaîtra ce fameux « procès des
Marie-Galantais ». Après, il y aura de nombreuses luttes syndicales contre
la fermeture des usines et des distilleries.
Le Marie-Galantais est un peuple du terroir, de l’enracinement,
versé dans sa culture et dans ses traditions. Un peuple qui n’envie pas
l’autre, qui se bat pour ce qu’il possède à la sueur de lui-même. Même quand il voit le médecin il ne rejette
jamais sa médecine traditionnelle à base de ventouse coupée, d’assa-foetida, de
queues d’anoli, de sangsues etc. …
On ne parle même pas des feuillages où chaque petite
feuille, chaque branche ou chaque racine a un nom et une vertu médicinale.
Lé zyé koklèch, lé kokiyanndé, lé tòy, lé si ; avòté, matrité, lé
pirézi, mounsanbouké, mounsanmisk, fanm brenhengn, koutcham, bèlèkwè,
tolinanni, tchoukoudmèl, adélala, kachafwèt, boukousou etc. …
« Chaque problème sur cette terre a sa solution » !
Voilà l’expression qui résume bien « l’être »
Marie-Galantais !
Des aînés respectés qui jouent leur rôle de courroie
de transmission vis-à-vis des plus jeunes. Un peuple d’une grande fierté, qui a
le sens et le respect de la « propreté » même dans la misère la plus
sordide !
Un peuple qui aime par-dessus tout, sa terre – son
pays – son histoire, sa race et qui est fier aussi par-delà tout d’être noir.
Beaucoup de patronymes congolais font aussi la fierté
de l’île, puisque arrivés entre 1875 et 1895 sous contrat, du Congo Brazzaville
de la région du Kimélé. On trouve : les Sombé = N’Tsombe - les Soumbo = Soumba ou Soumbou – les N’Gom ou
N’Goma qui désigne le Tam Tam – les Dongal = N’Donga ou N’Dongui – les Siba =
N’Tsiba qui désigne un « sifflet » - les Pambo = Pambou ou M’Pambou –
les Zodros = N’Zondo etc. … le plus célèbre est probablement le patronyme de ma
mère dont le père est arrivé à Marie-Galante durant l’immigration congolaise en
1892, accompagnés de sa femme Loasis avec trois enfants, deux garçons et une fillette.
Le fils aîné s’appelait Louis Dendé, il avait 10 ans.
Le second fils s’appelait Avril Joseph, il avait 7 ans et la fillette N’Goma
qui avait 5 ans.
Ce Louis Dendé est le père de 32 enfants à
Marie-Galante avec 4 femmes différentes. Ma mère fut la dernière enfant née de
Louis Dendé qui est mort en 1945.
Dendé = N’Dendé ou Ndé signifiant le voilà – ou
lui-lui ou celui-ci. Des papiers traduisent aussi Louis N’Dendélé ou N’Déndélé
= premier enfant – premier fils - j’ai rebondi – (ku dénda) ou encore, j’ai
réussi (ku lénda).
L’écriture a été francisée définitivement à partir de
1900 pour devenir la famille Dendelé. Le plus célèbre et le plus connu de
Guadeloupe est sans doute l’ancien batteur de Manu Dibango, Joby Dendelé.
Je dois me rendre en voyage spirituel dans la région
du Kimélé afin de respirer la terre de ce lieu et pour tenter de retrouver les
traces de cette lignée. Au Congo Brazzaville, il y a aussi un fleuve qui porte
le nom Dendélé dans cette même région du Kimélé. Ce mot Kimélé que l’on
retrouve dans une vielle chanson créole : « mé kimélé mé kimélé an fè
avèw » !
Comme quoi, d’où vient la force du
Marie-Galantais ?
Il sait l’histoire rencontrée ou racontée, il sait
terriblement au plus profond de ses entrailles qu’il sort d’Afrique et il en est fier : il sait !
Cette île est probablement la plus africaine des
Amériques. Le Marie-Galantais proclame et revendique haut et fort son
africanité. Ma mère n’est jamais allée au Congo, mais elle a toujours réclamé cette terre. Quel
atavisme de mettre ses enfants au monde
à genoux, à l’africaine ! Cela ne s’invente
pas ! Marie-Galante est une terre de Poètes où le mystique, le sacré et le
viscéral se jouent éperdument de la lumière du soleil…
C’est enfin, surtout un pays rebelle par excellence
comme je le rappelais avec ses nombreuses histoires explosives de marronnage
pendant et après l’esclavage. Aussi, de nombreux tumultes politico-judiciaires
jalonnent son histoire où les élections locales sont toujours la
théâtralisation d’une passion collective hors du commun.
Dans un prochain livre je raconterai toute cette
histoire puisqu’elle est l’Histoire de nous-mêmes.
4. Votre prochain roman est annoncé, quelle est sa
thématique ?
Je répondrai que j’ai mis quatre ans pour l’écrire, en
immersion totale, refaisant le voyage du fleuve
Congo à la mare de Pirogue. J’ai discuté avec chacun des par-dessus bords de
l’Atlantique rencontrés et ils m’ont tous dit : « qu’il était enfin temps
de leur offrir un digne enterrement ». Je n’en dirai pas davantage pour
laisser jouer l’effet de surprise et par respect envers
mon lectorat.
5.
Comment voyez-vous l'avenir de Marie-Galante, il y a
des voix qui commencent à s'élever pour demander un statut
semblable à celui des îles du nord. Y croyez-vous ?
J’aurai l’air de me répéter : je
viens d’écrire sur CC1 un long article à ce sujet, intitulé « Les
îles du sud, une réalité révolutionnaire » ! A lire la réaction
des internautes, ce n’est pas une idée qui fait peur. J’avais parlé il y a
vingt ans de zone franche globale pour l’île : c’est exactement cela que préconise Sarkozy
aujourd’hui pour relancer l’économie.
L’expérience des îles du nord
est à suivre très attentivement !
Merci pour votre questionnement.
Grand-Bourg : 15/09/2009
Bernard
Leclaire
Écrivain Marie-Galantais
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