LE PROCÈS DE MARIE -GALANTE - PRÉFACE ET POINT DE VUE DE BERNARD LECLAIRE.
LE PROCÈS DE MARIE -GALANTE
PRÉFACE ET POINT DE VUE
De Bernard LECLAIRE.
- Vous êtes l'auteur de la préface de
l'ouvrage de Victor Schœlcher en réédition chez Idem, Le procès de Marie-Galante, pouvez-vous préciser aux lecteurs ce
moment d'histoire qui concerne Marie-Galante et la Guadeloupe plus
généralement ?
- À partir d'une histoire kafkaïenne
durant ces premières élections en Guadeloupe, on fit croire facilement aux
colons que la population avait l'intention de massacrer la population blanche ?
Ces événements de juin 1849 peuvent-ils avoir une résonance dans la Guadeloupe
contemporaine ?
- Quelle leçon faut-il retenir de cet
épisode historique ?
France Antilles Martinique.
***
Le 27 Mai 1848, est proclamée l’abolition de
l’esclavage en Guadeloupe et ses dépendances. La société antillaise découvre
alors les balbutiements de la liberté et dès les premières élections
législatives organisées le 24 juin 1849,
la population marie-galantaise va vite se rendre compte que les racines
du mal, bien que l’arbre du malheur fût coupé, résistent et se battent pour faire
renaître le pouvoir du passé.
La liste Bissette–Richard était
l’expression politique des grands planteurs blancs et partisans de l’ordre
royaliste. En face, il y avait la liste Schœlcher-Perrinon et cette liste
était abolitionniste et républicaine. Ceux-là depuis longtemps déjà, réclamaient
l’abolition de la traite dans toutes les colonies françaises. Le maire de
l’époque Monsieur Théophile Roussel ordonna d’arrêter pour délit électoral le
mulâtre Jean-François Germain, dit Chéry Cétout.
Le gendarme Claire, le garde
champêtre Michel Bacot et le chasseur à cheval, Nicolas
Houelche garrottèrent Germain sans sommation.
Le maire réclama à la brigade d’envoyer
seize hommes en renfort de sa compagnie dans l’urgence, voulant ainsi, de suite
escorter Germain à Grand-Bourg intra-muros, et pour annihiler le tumulte
éventuel des Noirs. Appelés en renfort,
le gouverneur Fabvre et l’amiral Bruat dépêchèrent une garnison pour
rétablir l’ordre à Marie-Galante. Ces
gens-là avaient reçu la consigne officielle de tuer.
Houelche sous les commandements de Fabvre, Bruat
et Théophile
Botreau Roussel Bonneterre organisèrent une chasse
sur toute l’île des mois durant pour arrêter tous les nègres qu’ils
considéraient comme suspects dans cette nouvelle affaire.
Fabvre le 26 juin 1849, fit un
rapport circonstancié disant que « la
nuit du 25 au 26 fut éclairée de plusieurs incendies, que l’on réprima
énergiquement les rebelles et que ces actes étaient indignes et remontaient
des temps les plus affreux de la
barbarie.»
Ce dernier semblait méconnaître
totalement ce qui s’était réellement passé sur l’île de Marie-Galante. Houelche
avait l’autorisation d’arrêter qui il voulait et de faire feu sur n’importe
qui, faisant prétendument preuve d’une quelconque résistance. Et selon l’avocat
Maître Pory Papy, diligenté par l’équipe Schœlcher, plus de
quatre-vingt nègres étaient tombés sous les fusillades de Pirogue, plus d’une
centaine selon Victor Schœlcher. Plus de cent cinquante autres furent dans la
nuit du 25 au 26, inculpés et emprisonnés.
Concernant les cent cinquante Noirs
arrêtés, ce fameux soir autour de la mare au punch, témoin de notre histoire,
les gendarmes firent rapidement partir le convoi à destination des geôles du
Fort Richepanse, à Basse-Terre, en Guadeloupe.
Par arrêté de la cour d’appel de la
Guadeloupe du 1er février 1850, soixante-neuf furent relaxés, soixante-douze
envoyés devant la cour d’assises de Basse-Terre, et cinq périrent en prison.
La cour d’assises rendit son verdict le
28 avril 1850. Sur les soixante-sept accusés, vingt-six furent acquittés, et
quarante et un condamnés pour meurtres,
tentatives d’assassinat, pyromanie,
pillage et détérioration. Le capitaine Houelche fut
récompensé, il obtint même la « médaille des braves ».
Mais, le 18 octobre 1849, en France,
l’Assemblée législative prononça l’annulation de ces élections du 24 juin en
Guadeloupe par rapport aux événements du 25 juin 1849, au cours desquels Schœlcher et Perrinon avaient obtenu
les trois-quarts des voix battant ainsi
très largement l’équipe Bissette-Richard.
S’il y a une chose qui fut désormais
sûre, c’est que ces trois fils marie-galantais, Alonzo, Zami
et Germain avaient été victimes d’un guet-apens bien organisé,
bien orchestré par la gendarmerie et le maire du quartier de l'époque.
Le 13 décembre, le colonel Fièron
était de retour en Guadeloupe en qualité de gouverneur. Le 18 janvier 1850, Schœlcher et Perrinon étaient élus à la
majorité à la députation. Victor Schœlcher devenait le premier
député Guadeloupéen suite à un vote démocratique de la population…
En fait, ce maire, en la personne de
Monsieur Botreau Roussel Bonneterre Théophile, grand propriétaire
terrien et d’usines à sucre de l’époque,
avait demandé à ses colistiers de distribuer des bulletins de vote aux
habitants noirs nouvellement libres, sachant a priori qu’ils étaient en très grande partie illettrés et que
cette stratégie machiavélique allait
favoriser la liste royaliste.
Germain ne se laissa pas prendre par cette
entourloupe, étant lui-même capable de lire. Ce dernier n’hésita pas à
dévoiler immédiatement cette attitude
frauduleuse en alertant Saint-Jean Alonzo alors maire
adjoint de Grand-Bourg ville, Zami et aussi le reste de la
population.
La suite de ces évènements est relatée
dans le livre de Victor Schœlcher dans
Le
Procès de Marie-Galante, écrit en
1851.
En ce qui concerne l’épopée de la Mare au
Punch dont j'ignore l'histoire exacte,
ce sont les mythes et les légendes qui s'y sont greffés et qui m'ont donné
le courage d’écrire en 2009, un roman au titre éponyme aux Éditions Nestor pour
en laisser trace aux générations
futures.
Cette histoire, encore très fréquente
dans la mémoire collective, est connue et relatée dans les îles environnantes,
ce qui en augmente la solidité. Les seules traces écrites nous ont été léguées
par notre grand poète marie-galantais, Guy Tirolien qui, en des vers crus
et saisissants dans son recueil Balles d’Or nous résume la
trame de ces tragiques évènements : « Des prêtres sans soutane dansaient la
bamboula ; et les nonnes sanglantes pleuraient leurs seins coupés ».
Il fallait bien davantage au plan
pédagogique pour susciter l'envie de découvrir ou de redécouvrir cette
période post-esclavagiste.
Il fallait bien la force imaginative du
poète et du romancier pour ressusciter en chair et en os un homme qui allait
faire la fierté de cette époque.
Il est triste de voir aujourd’hui que
certaines mauvaises langues confondent délibérément poésie, roman et recherches
historiques, alors que ces faits n'ont toujours pas été authentifiés par les
historiens ! Aussi, le roman de La
Mare au Punch donne vie à deux évènements autour de cette mare
historique. A savoir un premier évènement au soir de l’abolition de l’esclavage
en Mai 1848 mais également les
évènements autour de cette même mare, en juin 1849.
Pour le poète-romancier l’exactitude de
l’histoire n’est pas une donnée fondamentale dans le processus d’écriture
puisque toutes les grandes sociétés, tous les grands peuples survivent grâce à
la sauvegarde de leur mythologie. Je n’ai jamais prétendu avoir écrit un livre
d’histoire, il s’agit d’un roman dans toute sa dimension littéraire et
inventive.
C’est avant tout un écrit
cinématographique qui est prédestiné au grand écran, tout comme Le
Château des Murat, un autre roman publié avant La Mare au Punch.
Et depuis, Alonzo semble vouloir
revivre puisque d’aucuns se sont lancés sur des recherches afin de savoir ce
qu’il serait réellement advenu de lui. On prétend qu’il aurait été transféré
dans une prison française, qu’il aurait été libéré, alors qu'il se rendait en Guyane,
le bateau ne serait pas parvenu à destination etc. etc.
Mais, le plus important fut fait avant sa
disparition et nous savons tous qu’il est bien mort à l’heure où nous parlons.
Mais, peut-on, ou doit-on cacher à son peuple son courage et sa détermination à
faire le respect des marie-galantais que nous sommes ?
Alors, toute initiative est a priori bonne, surtout quand elle
a été la première sur un sujet jusqu'à pas longtemps encore complètement
tabou. Il fallait bien oser !
J’ose d’ailleurs ici, offrir la préface
d’un ami, Claude Sandoz, aujourd’hui passé à l’orient éternel, qui le
premier m’avait parlé en 1984 d’Alonzo. Il n’était pas et ne se
disait pas historien. Il était un patriote guadeloupéen, un chercheur qui
voulait simplement trouver dans les fin fonds de l’imaginaire et de l’âme de la
Guadeloupe ce qui pourrait faire de ce Peuple des êtres fiers et suffisamment
hardis, pour un jour, définitivement être eux-mêmes.
« Nèg marigalantais movè kalité nèg, yo koupé
tété a lésè é yo fè labé dansé… »
Mélange d’histoire et de légende, l’épisode fameux de
« La mare au punch » reste enraciné dans l’imaginaire des
marie-galantais. Ce récit mythique
conserve au cœur des habitants de l’île la force de l’histoire et l’ancrage que
lui confère son poids de symbole : celui du refus de l’esclavage, celui de
la colère des opprimés, de leur aspiration à la liberté et à la dignité.
Nous le savons,
les légendes trouvent leur fondement dans l’Histoire. Cependant, la réalité est
métamorphosée par l’apport d’éléments inventés qui peuvent aussi bien enrichir
que dénaturer. Le fait historique se colore de beauté ou d’horreur, selon
l’image qu’on souhaite faire circuler dans les esprits, selon l’utilisation que
l’on veut en faire dans le but de glorifier, ou, à l’inverse, de dénigrer les instigateurs.
Ainsi paré ou
transgressé, l’événement transfiguré s’élève au niveau du mythe dans la mémoire
collective de ceux qui s’y réfèrent.
Le célèbre épisode de « La mare au punch »
n’échappe pas au processus de fabrication du mythe.
Relaté d’abord oralement, l’événement a fait ensuite
l’objet d’écrits traitant de la condition des esclaves dans les sucreries de
l’île, et de leur long cheminement vers la liberté. Si les faits historiques ne
font aucun doute, les récits divers et variés qui les restituent prouvent que
la symbolique prévaut sur la véracité des événements.
Cette fête joyeuse et débridée s’est sans doute déroulée en mai 1848, à la
nouvelle de l’abolition de l’esclavage. Sur cette date, les historiens ne
s’entendent pas. Certains pensent que l’épisode de « La mare au
punch » se situe en juin 1849, dénaturant ainsi le contexte de l’événement
qui prend une toute autre signification.
Certaines
images de fureur aveugle que l’on a sans doute par la suite colportées, métaphorisent
l’explosion de joie justifiée d’hommes et de femmes maltraités, recouvrant
enfin une liberté depuis si longtemps revendiquée.
On peut penser que le récit volontairement dramatisé
jusqu’au tragique, par des agissements aussi violents que répréhensibles de la
part des anciens esclaves enfin libérés, émane de ceux qui se trouvent ainsi
dépossédés d’une main-d’œuvre rentable et malléable à merci.
Il pourrait
traduire le désenchantement et la fureur des békés qui perdaient leurs
privilèges et le pouvoir absolu sur leurs esclaves. D’autres pensent que
« La mare au punch » aurait eu lieu un an plus tard, en juin 1849,
lors de l’élection des nouveaux députés qui tourna au drame.
En effet, ces
élections opposaient Charles-Auguste Bissette, représentant des planteurs, à
Victor Schœlcher, défenseur de la cause des nègres et soutenu par les
« hommes de couleur », désormais libres. A leur tête, Alonzo,
il est le héros du roman de Bernard
Leclaire.
Par ce récit, l’auteur rend hommage à la
révolte des nouveaux hommes libres qui payèrent de leur vie les affrontements
entre le peuple et la troupe.
Explosion de joie
ou révolte des habitants de l’île devant l’injustice d’une élection falsifiée,
l’événement fut volontairement diabolisé afin de disqualifier ceux qui en
furent les instigateurs.
Quoiqu’il en soit, la légende se tisse et se
dessine autour d’un flot de rhum répandu en grande quantité, vannes ouvertes
des réservoirs des distilleries, qui se métamorphosa en une mare assez peu
commune, et quelque peu gargantuesque.
Il manquait à cet
épisode fondateur de l’Histoire de l’île et d’une époque révolue mais encore
présente par le souvenir à tous les esprits, d’avoir inspiré enfin une œuvre de
fiction.
Voilà qui est fait avec ce roman sur fond historique,
qui restitue la saga d’une famille d’esclaves de Marie-Galante.
Le titre
éponyme de ce récit révèle l’attachement d’un peuple à son passé, à son histoire et à ses
légendes.
On
ne peut que se féliciter de cette démarche qui contribue à perpétrer la mémoire
d’un peuple. Claude Sandoz.
Alors, résonances et leçons dans l’histoire
contemporaine, je dirai qu’il s’agit-là d’un quotidien ! L’histoire de
l’esclavage n’est pas une période qui rend gloire à l’Occident. Il n’est point
besoin de se faire l’avocat à charge ou à décharge pour retranscrire les affres
d’une déshumanisation aussi honteuse et lugubre.
La colonisation fut une réalité et la départementalisation
sournoisement porte une cravate où le gouverneur portait un casque.
Français si étrangement et entièrement
à part puisque le procès de Ruddy Alexis vient tout juste de se tenir à Paris,
or les faits se sont déroulés en Guadeloupe et nous sommes pourtant sous
un gouvernement socialiste.
N’oublions pas les évènements des 44
jours de grève en 2009 ! N’oublions pas les évènements de Mai 1967 pour
lesquels le Peuple Guadeloupéen réclame toujours que justice soit faite.
L’assassinat de Salin – les évènements du Moule, le
14 février 1952, surnommé le Massacre de la Saint-Valentin etc. etc...
Il y aurait tout de même une chose positive à tirer
de cette grande difficulté à vivre ensemble. Comment trouver un équilibre quand
on est dirigé par une entité extérieure qui plus est, quand l’histoire nous
ramène des images qui, a priori
fâchent davantage qu’elles n’apaisent ?
Nous constatons que la sociologie
actuelle de notre archipel a définitivement intégré la fusion d'une culture commune.
Un bouquet certes hétéroclite au départ, mais la progression constante d’une
homogénéité solide et fraternelle a pris place au-delà du phénomène de race.
Nous avons tous construit quelque chose de beau jaillissant certes du chaos.
Nous sommes en avant-première ce que le monde sera dans mille ans.
Ainsi, on a vu défilé avec le LKP des
Métropolitains, des Blancs-Pays et même des Békés ; je ne parle même pas
des Indiens, Mulâtres ou autres ! La Guadeloupe aujourd’hui a absorbé une
composante multiple comme une espèce de « caribéanisation » où
l’existence d’un socle commun semble définitivement une réalité tangible et
fédératrice.
Nous sommes tous en quête d’un ciment révélateur
d’un bonheur collectif dans un espace géographique et historique commun
contrairement à cet esprit de division – de détestation engendrée par le
pouvoir satanique d’un entendement esclavagiste.
Nous éprouvons de plus en plus le désir de
connaître et de reconnaître nos voisins au lieu de vouloir systématiquement
aller en France. Nous nous sentons tous détenteurs et responsables d’une
« caribénitude » certaine qui coule dans nos veines.
Cette Caraïbe-là s’impose de plus en
plus comme le chemin de notre avenir et de notre développement économique.
La crise qui sévit depuis 2008 dans les pays
capitalistes nous a amenés à démystifier et à démythifier la suprématie de
cette doctrine qui, a priori voulait se faire la vitrine de la réussite
du bonheur mondial. Or, la réalité est là ! Nul homme – nulle société ne
détient la vérité et tout concept est amené un jour à être dépassé.
La Guadeloupe se veut dorénavant un archipel de la
réussite économique, qui puisse assumer le devenir de ses enfants en leur
offrant tous un travail dans une société apaisée.
Voilà la vraie question du jour, comment donner du
rêve – du désir – de l’envie – de l’espoir à un Peuple qui veut tout simplement
exister, porter sa pierre à l'édifice et en définitive avoir sa part de bonheur
dans ce terrain mouvant de la mondialisation ?
Nous ne
voulons plus être spectateurs mais au contraire, les futurs bâtisseurs de ce
monde nouveau.
La Mare au Punch où nous
vous convions tous, est celle de la
réconciliation des êtres dans le respect
des identités et des cultures différentes.
Voilà le seul gage de la paix dans ce monde.
Bernard Leclaire.
Grand-Bourg
le, 14/04/2014.
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