LE CRÉOLE EST-IL UNE LANGUE EN EXIL ? L'EXEMPLE DE MARIE GALANTE !
Le, 27/10/2013
À l'occasion de la
JOURNÉE
INTERNATIONALE DU CRÉOLE, dimanche 27 octobre, « Tous
créoles » présente une conférence de Bernard Leclaire sur le thème :
"Le créole est-il une langue en exil
dans son propre chez soi ? L'exemple de Marie-Galante" !
Rendez-vous à la distillerie
Trois-Rivières (Sainte-Luce, Martinique).
***
"Le créole est-il une langue en exil
dans son propre chez soi ?
Non… !
L'exemple de
Marie-Galante" !
Avant de commencer
cette intervention, je dois vous avouer que je l’aborde dans l’esprit d’un échange fraternel,
d’autant plus que lorsque je suis en Martinique je me sens chez moi. Avant
d’aller plus loin néanmoins, permettez-moi de remercier les organisateurs de
cette manifestation. D’abord « Tous Créoles » qui fait un
travail remarquable et remarqué sur notre « créolitude » ainsi
que mon Éditeur, Monsieur Jean Benoît Desnel, qui, dès nos premières rencontres, a cru
en moi.
C’est aussi une
immense joie pour moi de partager cet instant avec une assistance pour qui,
notre part de créolité constitue un pan primordial de notre quête
identitaire !
Il m’est demandé
ici d’examiner la question du créole à travers une problématique, ô combien
complexe ! et pour cause, puisqu’il s’agit de son statut sociolinguistique
dans nos espaces historiques et géographiques qui sont précisément les espaces
natifs de la langue et de la culture créoles.
La problématique
est ainsi formulée : Le créole est-il une langue en exil dans son propre
chez soi ? En d’autres termes, la langue créole a-t-elle, chez nous, un
statut de « langue paria » (si je puis me permettre cette apposition
quelque peu audacieuse) ?
Ma communication
va se structurer autour de quelques questions rhétoriques auxquelles
j’essaierai d’apporter les réponses les plus claires et qui me semblent les
plus justes possibles. Bien entendu, nul n’étant titulaire de la science infuse
et l’histoire de l’humanité étant là pour témoigner que, même dans le domaine
des sciences exactes, la réalité est d’une telle densité et d’une telle
complexité qu’elle échappe toujours au Logos, je dois avouer que j’aborde cette
question avec une certaine humilité.
Toutefois en tant qu’écrivain, et surtout
en tant qu’écrivain antillais et donc
créole, je considère que mon expérience de créateur est, d’une certaine
manière, exemplaire de cette civilisation et de cette culture qui irrigue et
enrichit mon expérience scripturale et romanesque.
Ma première
interrogation sera celle-là :
Qu’est-ce que le
créole ? D’où sort-il et pourquoi existe-t-il ? Existe-t-il aussi un
ou plusieurs créoles ?
L’homme n’est pas
un solitaire, il est avant tout un animal qui vit en collectivité et par
essence dans une structure sociale élaborée. Vivre ensemble exige de nous une
qualité fondamentale, c’est notre
capacité à communiquer.
Les esclaves
venant d’Afrique disposaient déjà de leurs moyens de communications
langagiers ! L’Afrique noire est un
vaste continent – d’un coin à l’autre, les langues – les coutumes – les rites …
les cultures changent et parfois de manière considérable !
Ne voilà t-il pas
que, tous ces hommes, unis certes par un même continent et une même couleur de
peau se retrouvaient dans une cargaison commune, mais privés des moyens de
communiquer les uns avec les autres !
On pourrait sans
se tromper, affirmer que dès ce moment s’enclenchait déjà, de par la situation
imposée, le mécanisme propice à l’élaboration d’une langue – d’un langage -
d’un patois ! Autrement dit,
le créole qui allait permettre à tous
ces hommes « démoulés », déshumanisés dans le laminoir esclavagiste
de communiquer, de se comprendre, de rêver, et de se battre pour exister,
et pour cela de fonder une culture et de combattre l’entreprise de déshumanisation
à laquelle ils étaient confrontés !
Il aura fallu
beaucoup de temps pour favoriser l’émergence de la langue et de la culture
créoles, puisque ces deux processus, qui sont concomitants, s’accompagnent
toujours, et pour cause ! de l’appropriation de l’espace et de l’univers
de la terre d’accueil. Mais dès l’arrivée des premiers bateaux négriers en
1665, on assistait ipso facto aux balbutiements d’un langage plus ou moins
inefficace qui allait inévitablement se perfectionner et s’imposer comme une
réalité de communication, de vie et surtout de survie dans l’univers clos
qui constituait désormais le quotidien des expatriés de la terre originelle !
La multitude de
langues africaines allait, à plus ou moins court terme péricliter puisque le
maître, dès le départ avait interdit l’utilisation de ces résonances
hermétiques. .
Il est
compréhensible que dès lors, les esclaves ne pouvaient pas – ne pouvaient plus,
s’approprier les langues terroirs, ils allaient par obligation se mettre à
capter et à comprendre, bon gré malgré, la langue du maître ! Ils n’avaient pas le choix sinon de mourir et
de disparaître à jamais !
Le maître lui
aussi est condamné à communiquer avec les esclaves pour leur donner des ordres
plus ou moins complexes…
C’est la fameuse
dialectique du maître et de l’esclave. Le maître est un élément de la créolisation, puisqu’il
est lui aussi prisonnier de l’enfer colonial et esclavagiste, comme l’a montré
Césaire dans "Une Tempête" et Shakespeare avant lui.
La malédiction
coloniale ne frappa pas que les esclaves. Le créole ne concerne pas que la
langue, mais aussi la culture, car la langue n’existe pas que pour elle-même
mais pour véhiculer une culture et une vision du monde !
Non seulement, il
fallait prendre en unique référence le français comme la langue obligatoire,
mais plus important encore, il fallait embrasser la culture – la religion – les
rites et coutumes françaises en délaissant totalement tout ce qui pouvait
relever d’une certaine africanité !
Nous pouvons
aisément dire par déduction, que partout où il y eut un apport de bras pour la rentabilité –
pour les travaux forcés - pour la construction de la richesse et du capital en
général, il y eut simultanément une dynamique
ou une mécanique de création d’un
« créole » et d’une « créolisation » inéluctable !
La Caraïbe
renfermerait alors dans cette mouvance des formes de créole avec une domination
anglophone – hispanophone – néerlandaise etc. …. en fonction de la domination
du pays colonisateur. Ainsi, on peut affirmer qu’il existe plusieurs créoles
qui traduisent en même temps, l’influence initiale et dominatrice des pays exploitants. Ceci est un fait !
Pour ce qui est du
nôtre, c'est-à-dire de notre « créole », on peut aisément remarquer
qu’il est à 90% constitué de consonances et de résonances lexicales
ressortissant à la langue française, bien que la syntaxe soit plus
problématique à définir, puisqu’elle semble provenir pour partie des langues
africaines, de la langue française et probablement d’un compromis psychologique
ou, à tout le moins mental entre la langue française et les langues africaines.
Les esclaves
n’ayant pas droit à l’alphabétisation devaient essentiellement se contenter de
répéter quelques mots qui devenaient une espèce de verlan du français où
les articles étaient systématiquement rejetés après les noms et en féminisant
toutes « choses » appelées ou nommées par simplification !
Exemples :
Chaise-la – table-la – chien-la etc. … On a connu aussi le oui Moussié et le
oui Madanm !
Après
1848, pourquoi nos parents ont-ils voulu nous faire taire notre
créole ? La période de
« singification » !
Dès le début du
XIXème siècle, nous pouvons penser que le langage créole était déjà entré dans
la tradition orale de tous les esclaves. Nous avons préalablement affirmé que
ce créole en devenir et en mouvance dans son essence s’était constituée sur les
bases du français mais certains mots
d’origine africaine ont aussi résisté et font aujourd‘hui encore toute la
beauté de la langue. (Exemple du Grap a Kongo célébré tous les premiers novembre
en Guadeloupe par la famille Masembo).
Les esclaves ont
perpétué leurs rites et coutumes après les avoir coulés dans le creuset de leur
créolisation ! Nous retrouvons le rythme du tam-tam africain [Gwoka en Guadeloupe, Bèlè en Martinique, les
différents rythmes que l’on retrouve dans le vaudou haïtien, etc.] dans les
danses – dans les chants, dans toutes les musiques dans ce monde nouvellement
créolisé ! Mais aussi dans les contes, les proverbes, les
« kwayandiz » où souvent la gyablès est représentée sous la forme
d’une femme blanche.
Il a fallu dans
une étrange fusion mixer le blanc et le
noir – mélanger l’Afrique et l’Occident en un seul « migan » qui allait donner une saveur jusqu’ici inconnue du
monde entier et ô combien magnifique !
Jusqu’à
l’abolition de l’esclavage, il n’a jamais été question pour les esclaves de ne
pas parler leur créole, bien qu’ils devaient tous, vis-à-vis du maître
s’égosiller à répondre même très maladroitement par un français qui faisait
rire la galerie !
A partir de 1848,
la vision du monde du ci-devant esclave nouveau récipiendaire de la liberté
allait changer ! Le maître était sa référence de raffinement et de
réussite ! Il n’est pas étonnant que la majorité de ces peuples n’ait eu
qu’un objectif inconscient, « singer » son maître. On se souvient de
cette pantomime qui a prévalu en Haïti après l’indépendance et que les
intellectuels haïtiens ont défini par la très suggestive de « bovarisme
haïtien ».
Pour ce faire, il
n’était plus question d’enfermer sa vie essentiellement dans la terre !
Les colons aussi se rendaient vite compte des difficultés à avoir à payer les
travailleurs des champs et des usines.
Un autre monde
s'ouvrait où il allait falloir réinventer les relations sociales dans une
perspective de moins en moins ethniquement et explicitement verticale, mais de
plus en plus horizontale !
Ainsi, dès la fin
du XIXème siècle, les usiniers furent contraints de faire venir de France des
contingents de « blancs pauvres et malheureux » pour cultiver la
canne.
En 1854, on faisait déjà appel massivement à la
main-d’œuvre indienne pour compenser la perte de main-d’œuvre et assurer le
maintien de la productivité !
On fit aussi venir
même des Chinois et des Russes pour les mêmes raisons. Mais, tout cet apport
humain, manifestement ne faisait pas l’affaire des grands planteurs en termes
de production. Le manque à gagner par rapport à la période de la traite était
abyssal !
C’est alors au
Congo Belge, en passant par le Comptoir de Régis, un ancien esclavagiste marseillais,
que l’on fit venir en Guadeloupe 12000 Congolais – 10000 en Martinique et 6000
à Marie-Galante entre 1875 et 1890. Il fallait une main-d’œuvre forte et
vaillante pour supporter la pénibilité et la dureté du travail de la canne.
Cette main-d’œuvre
fut très mal accueillie par les anciens esclaves qui traitaient de mauvais et
de nuisible tout ce qui était Congo ! D’où quelques réflexions encore
vivantes dans l'inconscient collectif : « kongo ki vwè kalson ta –
nwouè kon lèni a kongo – kongo ka palè wanni-wanan etc… ».
Les Indiens aussi
ont eu leur part de mépris et l’on retrouvait encore jusqu’à il n’y a guère,
des appellations et des sobriquets pour les rabaisser par rapport aux noirs
anciennement esclaves.
Les Congo et les
Indiens ainsi que les autres d’ailleurs de cette époque post-esclavagiste qui
sont tous venus sous « contrats de travail » n’étaient pas des
esclaves – ils étaient payés et dans leur contrat, il était question même de
les rapatrier dans leur pays d’origine.
Mais ces contrats
n’ont jamais été respecté par les usiniers, alors pour dédommager ces
travailleurs, les colons furent obligés de leur attribuer des lopins de terres
en compensation.
C’est ainsi qu’en
Guadeloupe, aujourd’hui presque tous les indiens sont grands propriétaires
terriens, ce qui explique en partie leur présence prépondérante dans l’économie
du pays ! Les Congo, eux, ont hérité de modestes parcelles mais, sont tout
de même tous devenus propriétaires. Or, en 1848 les esclaves libérés n’ont pas
été dédommagés alors que l’état français de l’époque a jugé indispensable de le
faire pour les anciens maîtres.
A ce moment, les
Noirs ont voulu se glisser dans une forme d’imitation intellectuelle par
rapport aux anciens maîtres. Il fallait rivaliser au niveau de l’intelligence
et de la connaissance. C’est l’époque où le degré d’appropriation de la
culture, mais surtout de la langue française, celle du maître donc est un signe
de prestige et de distinction sociale.
Ainsi les parents
délaissant la terre, demandaient à leurs
enfants de ne pas ou de ne plus parler le créole ! Au début du XXème
siècle, l’heure était à la scolarisation
et à l’alphabétisation. Il fallait devenir quelqu’un !
Les villes
commencèrent à devenir des lieux d'attraction et de réussite sociale pour ne pas dire une
réussite !
Il fallait de
toute façon devenir un citadin.
Le « ka »
dévalorisé mais on survalorisait le quadrille – la biguine – le mazurka – la
valse et nombre de noirs commençaient à aborder l'apprentissage des autres
instruments comme le piano – le violon – le saxophone … etc.
L’île de
Marie-Galante va subir le même essor structurel mais à moindre échelle par
rapport à la Guadeloupe et la Martinique ! Les habitants ont su sauvegarder la
beauté et la joie de la ruralité et même quand certaines familles
investissaient en ville, les gens rentraient chez eux dans les campagnes le
soir.
Les villes sont
habitées par des commerçants et des fonctionnaires et les week-ends, il était
courant que ces derniers aillent en « changement
d’air » à la campagne, comme on disait à l’époque. Le peuple
marie-galantais est très terroir et souvent chacun garde la tradition de
cultiver son petit jardin tout en s’occupant d’un petit élevage pour le « débrouillardisme » !
Le créole est et a
toujours été omniprésent. Les familles
de l’ancienne génération parlent à 80% le créole et Marie Galante est un
berceau de mots typiquement créoles n’ayant même pas la traduction française
quand ce n’est pas directement un mot d’origine africaine. (tolinanni – tchoukoudmèl
etc.).
Très souvent, déjà
dans les années 60, certains enseignants du primaire et des collèges affinaient
leur pédagogie pour une meilleure compréhension en expliquant en créole. Dans
les campagnes les gens ont toujours parlé le créole – dans les champs – sur les
marchés – etc. …
Ainsi, pour mieux
comprendre l’épopée de cette langue il serait intéressant en parallèle de
suivre la trace des courants de pensées qui serviront de repère pour l’évolution culturelle et sociologique
de nos îles.
Le premier
mouvement littéraire de Guadeloupe et de Martinique fut qualifié de
« Doudouisme » ou de « régionalisme » avec des poètes tels que Daniel
Thaly ou Victor
Duquesnay. Il était question de remettre de
délicate dissertation qui plagiaient les textes français de l’époque et en faisant
avant tout l’apologie de l’esthétique occidentale ou en magnifiant la beauté de
nos paysages et de nos doudous.
Ce terme de
« doudouisme » et la littérature qu’il a engendrée sont restés comme
des formes d’insulte à l’égard de nos pays qui commençaient à percevoir au fil
du temps les limites économiques et sociologiques de la colonisation.
La langue et le
parler créoles connurent une longue période d’obscurité voire d'obscurantisme
et la réussite d’une famille quelconque venait de la réussite scolaire des
enfants et surtout de leur degré de reniement de leur socle culturel créole.
Ainsi, dès les
années 1910 – 1920, il y avait déjà des Noirs qui « faisaient la classe », comme on disait à l'époque !
Être instituteur
était le signe d’une évidente réussite et l’ascenseur social a bien fonctionné
jusqu’à la première crise du pétrole en 1973.
En 1946, avec la
Départementalisation et l’arrivée de la Sécurité Sociale, nos territoires
allaient sortir de l’insalubrité et les infrastructures modernes donnaient
encore plus de valeur aux villes au détriment des campagnes de plus en plus
délaissées ! Grâce à la scolarisation obligatoire l’alphabétisation était en marche !
Il fallut attendre
les années 30 pour oser entendre le grand cri de la Négritude, éructé par les
plumes du Martiniquais Césaire, du Guyanais Damas, du Sénégalais Senghor et du
Marie-Galantais Tirolien !
On entrait dans
l’histoire de la littérature en rivalisant directement avec les grands lettrés
de France et de ce monde ! Le
« Doudouisme » avait vécu et dès lors, la grande période d’exigence
et de revendication pointaient à l’horizon !
La Négritude n’a
pas tenu compte du créole puisqu’elle est née directement par et dans cet
effort des parents à vouloir faire réussir leurs enfants dans un esprit de
rivalité et d’égalité d’intelligence avec les anciens maîtres. Dans la
problématique que sous-tendait la revendication des auteurs de la négritude,
chez Damas et Césaire en particulier, c’est-à-dire de la part de ceux qui
avaient subi la déportation et la traite, il ne suffisait plus de devenir
quelqu’un, il fallait être quelqu’un !
Ces mêmes parents,
de 1848 à 1959, n’ont jamais parlé de l’esclavage – il ne fallait pas remuer ce
passé – le sujet était tabou tout comme le créole ! C’était leur façon de
faire le deuil d’une tragédie qu’il devait d’abord oublier et enfouir dans le
ciment de l’histoire.
Après l’irruption
de la Négritude, la question de l’esclavage sera de moins en moins taboue. Les
intellectuels antillais (Fanon, Manville, Glissant, Niger, Tirolien, Rupaire etc.)
exhument les grandeurs de l’Afrique sans défaillir. Il y a des résistances et
c’est longtemps après que nous avons recueillis les fruits de leurs efforts,
mais le séisme culturel était déjà à l’œuvre !
Nos aînés
baragouinaient un français mais ils voulaient et ils tenaient à le
parler ! Ils parlaient créole entre
eux mais les enfants devaient s’adresser à eux essentiellement en français et
en bon français. C’était comme une façon
de voir et de vérifier que l’enfant évoluait bien à l’école et dans le
bon sens de l’éducation !
Je relève un
extrait de « Rue Monte au ciel » de Simone Dracius qui
dit : « En classe, au premier mot de patois, on vous punissait
d’un carreau noir doublé d’un pensum. A la sonnerie, l’élève qui détenait
encore le carreau d’infamie prenait un zéro pointé ». Elle rajoute un
peu plus loin : « Sous le couvert de ta promotion et de
l’éducation, on jugulait la langue créole, tout en cultivant, entre Créoles, la
plus mesquine délation, la moquerie, les miasmes du mépris ».
S’il est vrai que
le Créole est longtemps resté une langue paria en exil dans son propre berceau
nous constatons au fil du temps que cet outil indispensable a permis de
sauvegarder l’âme de la culture antillaise. Cet exil en fait était une
apparence mais les gens pour survivre ne pouvaient plus se passer de l’élément
majeur de leur communication et de leur consolation.
Qu’est-il advenu du Créole après le
Mouvement de la Créolité ? Le Mouvement des Créolistes.
Avant d’en venir directement au
courant de la Créolité, Edouard Glissant en
1967, souligne tout particulièrement l'importance des métissages culturels
entre les civilisations européenne et africaine sur le territoire des Antilles.
« Il utilise alors des exemples
concrets comme celui du recours aux médecins et aux sorciers en Martinique et
en Guadeloupe. Il est aussi d’accord sur le fait que la pratique de la langue
française aux Antilles résulte du métissage de ces deux cultures ».
« Ce qui lui paraît intéressant dans la
civilisation des Antilles, c'est qu’elle témoigne d'un effort pour harmoniser
des éléments de civilisation très divers qui se sont affrontés au cours de
l'histoire, qui n'ont pas été mariés sans combat, sans heurts, sans fracas, mais
qui réussissent petit à petit à créer un nouveau style de civilisation qui
emprunte à la fois aux civilisations africaines et aux civilisations
occidentales ».
Il propose
également le concept de « créolisation » qu'il définit comme le
« métissage qui produit de l'imprévisible » et qui est pour lui le
« mouvement perpétuel d'interpénétrabilité culturelle et
linguistique » qui a pour vocation d’accompagner la
mondialisation culturelle. Cette mondialisation met en relation des éléments
culturels éloignés et hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles ».
Glissant, qui est à la fois poète, romancier, dramaturge, essayiste et
philosophe définit cette forme très particulière de la dialectique par une
expression explosive qui n’est pas sans rappeler le big-bang primordial :
« l’esthétique du chaos » !
Ses derniers
travaux s'articulent autour du concept de « tout-monde » et
interrogent l’universalité. « Il cherche à développer une approche
poétique et identitaire pour la survie des peuples au sein de la mondialisation
au travers de concepts comme la « mondialité » en opposition à la mondialisation économiste
ou d'identité-relation contre l'affirmation des
identités-racines qui génèrent d'innombrables conflits à travers le
monde ».
Le processus de
créolisation étant, bien sûr, dans la logique de son discours la dynamique qui
est chargée de servir d’épine dorsale à cette mondialité.
Ses réflexions sur
l’identité antillaise ont inspiré une génération de jeunes écrivains antillais
qui formera le mouvement de la créolité. Nous retrouvons alors
au début des années 90 ce courant mené par Bernabé –
Confiant et Chamoiseau.
En 1989 paraît un manifeste
littéraire intitulé Éloge De La Créolité.
« La Créolité chante la
totalité du réel antillais et pas seulement la mer bleue, le sable blanc et les
colibris. Elle s'intéresse aux quimboiseurs, aux djobeurs, aux coupeurs de
canne, aux femmes de mauvaise vie, etc., brisant ainsi le cliché des îles
paradisiaques.
Elle écarte toute connotation
raciale ou raciologique. Le mot « créole » viendrait du latin creare qui
signifie « créer/se créer » et désigne les nouvelles réalités des
Amériques à la suite de la conquête européenne, en particulier dans l'archipel
des Antilles.
La Créolité ne se résume pas à ce
seul archipel puisqu'elle vise, dans un premier temps, à englober les zones
créolophones des îles du Cap Vert et de l'océan Indien (Maurice, Seychelles,
Réunion), puis dans un second temps, les populations mixtes apparues dans les
banlieues des grandes métropoles du monde occidental (Paris, Londres, New-York
etc. ...) ».
Les Auteurs du mouvement défendent
une certaine écriture créole mélangée avec le français ce qui donne une
nouvelle couleur de littérature dans le fond comme dans la forme.
Plus qu’une langue, le Créole est
devenu un « état d’être » voire une « raison
d’être » ! Procédé identitaire et sociologique par la réalité créole
dans la Caraïbe !
On peut dire de ce nouveau
mouvement littéraire, même si on n’est pas toujours d’accord avec ses
fondements, qu’il a permis de donner naissance à un nouveau courant littéraire,
celui des « Créolistes » qui défendent eux la langue en écrivant et
publiant sans proscrire le créole de leurs créations littéraires. Alors que les
auteurs de la Créolité écrivent et publient certes en créole mais, il faut
remarquer que leur publication majeure est souvent en langue française.
Avec l’historique des différents
courants nous observons la progression intellectuelle des Antilles – nous
voyons aussi la progression et la percée de la langue qui, sortant du domaine
de la singerie est aujourd’hui un
étendard portant en avant tout les apports de l’histoire en un seul et même
bouquet, pour un seul et même pays et un seul et même peuple.
Peuple naissant dans les tumultes
de l’histoire se retrouvant pour un même avenir.
Dans l’effort de la démocratisation
du créole, on constate que toutes les races des Antilles se sont appropriées ce
parler. A partir de l’abolition de l’esclavage les usiniers ont fait l’effort
pour s’exprimer dans la langue du pays. En réalité les usiniers, békés,
blancs-pays ou blancs créole ont toujours parlé le créole ; c’est dans
cette langue qu’ils donnaient des ordres aux esclaves. Ils parlent le créole
aussi bien que n’importe quel créole !
Ainsi, dés le début XXème siècle
tout le monde économique échangeait en créole. Les colons se mirent très
rapidement à pratiquer cette langue car il fallait bien faire fonctionner les
distilleries et les usines. A force, il a fini par faire l’unanimité.
Ce qu’il y a de beau aujourd’hui,
c’est que toutes ces composantes des sociétés créoles revendiquent aussi leur
part créole. Le Blanc – l’Indiens – le Libanais - le Noir … tous les mélanges du métissage - tout le monde
est fier et revendique haut et fort son antillanité – sa créolitude et son
apport dans ce gigantesque bouillon de culture.
En Guadeloupe aujourd’hui, il y a
autant de noirs dans les cérémonies indiennes que des Indiens ! Même le
métro qui arrive se créolise en moins d’un an, contrairement à une certaine
époque où ils vivaient sans se mêler à la population locale.
Il prend des cours de créole et
veut s’intégrer à la culture. Il y a autant de métro défilant dans le carnaval
que des Antillais.
Il faut définitivement noter que la
Caraïbe est enfin devenue un sixième continent et que l’histoire de la
renaissance du monde ne passera peut-être pas ou plus, par des sociétés un peu
à bout de souffle, mais par les sociétés émergentes – nouvelles – récentes où
le mélange des hommes ouvrent désormais sur une humanité nouvelle !
Mouvement de la
Caribénitude !
Après le
Doudouisme, la Négritude, l'Antillanité et la Créolité, datant de 1990, je
pense qu'il est temps de tourner ces pages un peu jaunies et tristement
poussiéreuses par rapport à la vraie réalité de nos îles qui souffrent d’une
violence dont nous savons tous quelles en sont les causes !
« Nous
devons désormais nous instituer dans la réalité de notre pays, de notre
histoire, mais aussi dans notre géographie pour une économie mieux
réussie et mieux maîtrisée ! Plus que penser la Caraïbe, nous avons le
devoir de la vivre, de la faire, et surtout d'en prendre goulûment part. La
francité nous a écartés de nos frères caribéens, parfois en les regardant de
haut ou de trop loin. Nos enfants et notre peuple réclament dès lors un sentiment
pro-caribéen davantage tourné dans le réel que dans le virtuel ! Il est temps pour nous, Guadeloupéens,
Martiniquais et Guyanais, de proclamer notre appartenance totale à cette âme
caribéenne ».
« La Caribénitude » est un courant de
revalorisation et d'affirmation définitive du positionnement des populations de
la Caraïbe dans leur histoire, leur espace et dans la perspective d'un avenir
commun où l’économie équitable sera un outil prédominant et primordial.
Caribénitude, celle qui allie la Négritude de
Césaire, le Tout-Monde de Glissant dans sa créolisation généralisée et enfin la
Créolité de Bernabé, sans oublier l'apport des Créolistes. La boucle sera ainsi
bouclée en synthétisant les différentes approches en un seul bouquet triomphant,
en une oriflamme commune, défendant une Caribénitude universelle comme le
projet d’un humanisme nouveau où l’homme doit être le véritable centre de tous
les débats.
Nous voyons l'unification culturelle de la Caraïbe
comme possibilité d’assoir un avenir solide et efficace. Devenir et être
résolument caribéens, fiers de l'être et frères de sang, quel que soit
l'endroit d'origine de la Caraïbe anglophone, hispanophone, néerlandaise ou
francophone. La Caraïbe est l’affaire de tous !
Conclusion
La réalité de la langue a engendré
une sociologie – une façon de marcher – une façon de manger – de danser etc.
… et notre créole, malgré ses
particularismes, dans son essence et dans son histoire est le même !
Martinique – Guadeloupe – Guyane –
Marie Galante - Haïti ou ailleurs en dehors de l’accent, nous nous comprenons tous
et nous pouvons même dire, grâce à la mobilité des hommes et de leur
intelligence, qu’il commence à prendre forme un créole commun mélangeant toutes
ces îles de la Caraïbe. Dans cent ans, il est probable que le ich, le to, le map, le ija, le ida, le menm biten menm bagay … ne
feront plus qu’un.
Le créole appartient à toutes les
composantes de cette société
multiculturelle et multiraciale ! Le créole appartient à qui l’aime
– à tout le monde et pourquoi pas déjà à l’universel comme une pierre
sacrée à l’édifice de l’humanité !
Bernard Leclaire
Marie-Galante le, 26/10/13.
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