LE CRÉOLE EST-IL UNE LANGUE EN EXIL ? L'EXEMPLE DE MARIE GALANTE !

Le, 27/10/2013
                                                                
                                                                     

À l'occasion de la JOURNÉE INTERNATIONALE DU CRÉOLE, dimanche 27 octobre, « Tous créoles » présente une conférence de Bernard Leclaire sur le thème :

"Le créole est-il une langue en exil dans son propre chez soi ? L'exemple de Marie-Galante" !

        Rendez-vous à la distillerie Trois-Rivières (Sainte-Luce, Martinique).


                                                   ***

"Le créole est-il une langue en exil dans son propre chez soi ?     Non… !
L'exemple de Marie-Galante" !


Avant de commencer cette intervention, je dois vous avouer que je l’aborde  dans l’esprit d’un échange fraternel, d’autant plus que lorsque je suis en Martinique je me sens chez moi. Avant d’aller plus loin néanmoins, permettez-moi de remercier les organisateurs de cette manifestation. D’abord « Tous Créoles » qui fait un travail remarquable et remarqué sur notre « créolitude » ainsi que mon Éditeur, Monsieur Jean Benoît Desnel, qui, dès nos premières rencontres, a cru en moi.

C’est aussi une immense joie pour moi de partager cet instant avec une assistance pour qui, notre part de créolité constitue un pan primordial de notre quête identitaire !

Il m’est demandé ici d’examiner la question du créole à travers une problématique, ô combien complexe ! et pour cause, puisqu’il s’agit de son statut sociolinguistique dans nos espaces historiques et géographiques qui sont précisément les espaces natifs de la langue et de la culture créoles.

La problématique est ainsi formulée : Le créole est-il une langue en exil dans son propre chez soi ? En d’autres termes, la langue créole a-t-elle, chez nous, un statut de « langue paria » (si je puis me permettre cette apposition quelque peu audacieuse) ?    

Ma communication va se structurer autour de quelques questions rhétoriques auxquelles j’essaierai d’apporter les réponses les plus claires et qui me semblent les plus justes possibles. Bien entendu, nul n’étant titulaire de la science infuse et l’histoire de l’humanité étant là pour témoigner que, même dans le domaine des sciences exactes, la réalité est d’une telle densité et d’une telle complexité qu’elle échappe toujours au Logos, je dois avouer que j’aborde cette question avec une certaine humilité.  

    Toutefois en tant qu’écrivain, et surtout en tant qu’écrivain antillais  et donc créole, je considère que mon expérience de créateur est, d’une certaine manière, exemplaire de cette civilisation et de cette culture qui irrigue et enrichit mon expérience scripturale et romanesque.

Ma première interrogation sera celle-là :

Qu’est-ce que le créole ? D’où sort-il et pourquoi existe-t-il ? Existe-t-il aussi un ou plusieurs créoles ?

L’homme n’est pas un solitaire, il est avant tout un animal qui vit en collectivité et par essence dans une structure sociale élaborée. Vivre ensemble exige de nous une qualité  fondamentale, c’est notre capacité à communiquer.
Les esclaves venant d’Afrique disposaient déjà de leurs moyens de communications langagiers ! L’Afrique noire est  un vaste continent – d’un coin à l’autre, les langues – les coutumes – les rites … les cultures changent et parfois de manière considérable !

Ne voilà t-il pas que, tous ces hommes, unis certes par un même continent et une même couleur de peau se retrouvaient dans une cargaison commune, mais privés des moyens de communiquer les uns avec les autres !
On pourrait sans se tromper, affirmer que dès ce moment s’enclenchait déjà, de par la situation imposée, le mécanisme propice à l’élaboration d’une langue – d’un langage - d’un patois ! Autrement dit, le  créole qui allait permettre à tous ces hommes « démoulés », déshumanisés dans le laminoir esclavagiste de communiquer, de se comprendre, de rêver, et de se battre pour exister, et pour cela de fonder une culture et de combattre l’entreprise de déshumanisation à laquelle ils étaient confrontés ! 

Il aura fallu beaucoup de temps pour favoriser l’émergence de la langue et de la culture créoles, puisque ces deux processus, qui sont concomitants, s’accompagnent toujours, et pour cause ! de l’appropriation de l’espace et de l’univers de la terre d’accueil. Mais dès l’arrivée des premiers bateaux négriers en 1665, on assistait ipso facto aux balbutiements d’un langage plus ou moins inefficace qui allait inévitablement se perfectionner et s’imposer comme une réalité de communication, de vie et surtout de survie dans l’univers clos qui constituait désormais le quotidien des expatriés de la terre originelle !

La multitude de langues africaines allait, à plus ou moins court terme péricliter puisque le maître, dès le départ avait interdit l’utilisation de ces résonances hermétiques. .

Il est compréhensible que dès lors, les esclaves ne pouvaient pas – ne pouvaient plus, s’approprier les langues terroirs, ils allaient par obligation se mettre à capter et à comprendre, bon gré malgré, la langue du maître !  Ils n’avaient pas le choix sinon de mourir et de disparaître à jamais !
Le maître lui aussi est condamné à communiquer avec les esclaves pour leur donner des ordres plus ou moins complexes…
C’est la fameuse dialectique du maître et de l’esclave. Le maître  est un élément de la créolisation, puisqu’il est lui aussi prisonnier de l’enfer colonial et esclavagiste, comme l’a montré Césaire dans "Une Tempête" et Shakespeare avant lui.
La malédiction coloniale ne frappa pas que les esclaves. Le créole ne concerne pas que la langue, mais aussi la culture, car la langue n’existe pas que pour elle-même mais pour véhiculer une culture et une vision du monde !

Non seulement, il fallait prendre en unique référence le français comme la langue obligatoire, mais plus important encore, il fallait embrasser la culture – la religion – les rites et coutumes françaises en délaissant totalement tout ce qui pouvait relever d’une certaine africanité !

Nous pouvons aisément dire par déduction, que partout où il y  eut un apport de bras pour la rentabilité – pour les travaux forcés - pour la construction de la richesse et du capital en général,  il y eut simultanément une dynamique ou une  mécanique de création d’un « créole » et d’une « créolisation » inéluctable !

La Caraïbe renfermerait alors dans cette mouvance des formes de créole avec une domination anglophone – hispanophone – néerlandaise etc. …. en fonction de la domination du pays colonisateur. Ainsi, on peut affirmer qu’il existe plusieurs créoles qui traduisent en même temps, l’influence initiale et dominatrice  des pays exploitants. Ceci est un fait !

Pour ce qui est du nôtre, c'est-à-dire de notre « créole », on peut aisément remarquer qu’il est à 90% constitué de consonances et de résonances lexicales ressortissant à la langue française, bien que la syntaxe soit plus problématique à définir, puisqu’elle semble provenir pour partie des langues africaines, de la langue française et probablement d’un compromis psychologique ou, à tout le moins mental entre la langue française et les langues africaines.

Les esclaves n’ayant pas droit à l’alphabétisation devaient essentiellement se contenter de répéter quelques mots qui devenaient une espèce de verlan du français où les articles étaient systématiquement rejetés après les noms et en féminisant toutes « choses » appelées ou nommées par simplification !
Exemples : Chaise-la – table-la – chien-la etc. … On a connu aussi le oui Moussié et le oui Madanm !

Après 1848, pourquoi nos parents ont-ils voulu nous faire taire notre créole ?  La période de « singification » !

Dès le début du XIXème siècle, nous pouvons penser que le langage créole était déjà entré dans la tradition orale de tous les esclaves. Nous avons préalablement affirmé que ce créole en devenir et en mouvance dans son essence s’était constituée sur les bases  du français mais certains mots d’origine africaine ont aussi résisté et font aujourd‘hui encore toute la beauté de la langue. (Exemple du Grap a Kongo célébré tous les premiers novembre en Guadeloupe par la famille Masembo).

Les esclaves ont perpétué leurs rites et coutumes après les avoir coulés dans le creuset de leur créolisation ! Nous retrouvons le rythme du tam-tam africain  [Gwoka en Guadeloupe, Bèlè en Martinique, les différents rythmes que l’on retrouve dans le vaudou haïtien, etc.] dans les danses – dans les chants, dans toutes les musiques dans ce monde nouvellement créolisé ! Mais aussi dans les contes, les proverbes, les « kwayandiz » où souvent la gyablès est représentée sous la forme d’une femme blanche.

Il a fallu dans une étrange fusion  mixer le blanc et le noir – mélanger l’Afrique et l’Occident en un seul « migan » qui allait donner une saveur jusqu’ici inconnue du monde entier et ô combien magnifique !

Jusqu’à l’abolition de l’esclavage, il n’a jamais été question pour les esclaves de ne pas parler leur créole, bien qu’ils devaient tous, vis-à-vis du maître s’égosiller à répondre même très maladroitement par un français qui faisait rire la galerie !

A partir de 1848, la vision du monde du ci-devant esclave nouveau récipiendaire de la liberté allait changer ! Le maître était sa référence de raffinement et de réussite ! Il n’est pas étonnant que la majorité de ces peuples n’ait eu qu’un objectif inconscient, « singer » son maître. On se souvient de cette pantomime qui a prévalu en Haïti après l’indépendance et que les intellectuels haïtiens ont défini par la très suggestive de « bovarisme haïtien ».

Pour ce faire, il n’était plus question d’enfermer sa vie essentiellement dans la terre ! Les colons aussi se rendaient vite compte des difficultés à avoir à payer les travailleurs des champs et des usines.
Un autre monde s'ouvrait où il allait falloir réinventer les relations sociales dans une perspective de moins en moins ethniquement et explicitement verticale, mais de plus en plus horizontale !

Ainsi, dès la fin du XIXème siècle, les usiniers furent contraints de faire venir de France des contingents de « blancs pauvres et malheureux » pour cultiver la canne.
En  1854, on faisait déjà appel massivement à la main-d’œuvre indienne pour compenser la perte de main-d’œuvre et assurer le maintien de la productivité !
On fit aussi venir même des Chinois et des Russes pour les mêmes raisons. Mais, tout cet apport humain, manifestement ne faisait pas l’affaire des grands planteurs en termes de production. Le manque à gagner par rapport à la période de la traite était abyssal !

C’est alors au Congo Belge, en passant par le Comptoir de Régis, un ancien esclavagiste marseillais, que l’on fit venir en Guadeloupe 12000 Congolais – 10000 en Martinique et 6000 à Marie-Galante entre 1875 et 1890. Il fallait une main-d’œuvre forte et vaillante pour supporter la pénibilité et la dureté du travail de la canne.

Cette main-d’œuvre fut très mal accueillie par les anciens esclaves qui traitaient de mauvais et de nuisible tout ce qui était Congo ! D’où quelques réflexions encore vivantes dans l'inconscient collectif : « kongo ki vwè kalson ta – nwouè kon lèni a kongo – kongo ka palè wanni-wanan etc… ».  

Les Indiens aussi ont eu leur part de mépris et l’on retrouvait encore jusqu’à il n’y a guère, des appellations et des sobriquets pour les rabaisser par rapport aux noirs anciennement esclaves.

Les Congo et les Indiens ainsi que les autres d’ailleurs de cette époque post-esclavagiste qui sont tous venus sous « contrats de travail » n’étaient pas des esclaves – ils étaient payés et dans leur contrat, il était question même de les rapatrier dans leur pays d’origine.
Mais ces contrats n’ont jamais été respecté par les usiniers, alors pour dédommager ces travailleurs, les colons furent obligés de leur attribuer des lopins de terres en compensation.

C’est ainsi qu’en Guadeloupe, aujourd’hui presque tous les indiens sont grands propriétaires terriens, ce qui explique en partie leur présence prépondérante dans l’économie du pays ! Les Congo, eux, ont hérité de modestes parcelles mais, sont tout de même tous devenus propriétaires. Or, en 1848 les esclaves libérés n’ont pas été dédommagés alors que l’état français de l’époque a jugé indispensable de le faire pour les anciens maîtres.

A ce moment, les Noirs ont voulu se glisser dans une forme d’imitation intellectuelle par rapport aux anciens maîtres. Il fallait rivaliser au niveau de l’intelligence et de la connaissance. C’est l’époque où le degré d’appropriation de la culture, mais surtout de la langue française, celle du maître donc est un signe de prestige et de distinction sociale. 

Ainsi les parents délaissant la terre, demandaient  à leurs enfants de ne pas ou de ne plus parler le créole ! Au début du XXème siècle,  l’heure était à la scolarisation et à l’alphabétisation. Il fallait devenir quelqu’un !
Les villes commencèrent à devenir des lieux d'attraction et de   réussite sociale pour ne pas dire une réussite !

Il fallait de toute façon devenir un citadin.
Le « ka » dévalorisé mais on survalorisait le quadrille – la biguine – le mazurka – la valse et nombre de noirs commençaient à aborder l'apprentissage des autres instruments comme le piano – le violon – le saxophone … etc. 

L’île de Marie-Galante va subir le même essor structurel mais à moindre échelle par rapport à la Guadeloupe et la Martinique ! Les habitants ont su sauvegarder la beauté et la joie de la ruralité et même quand certaines familles investissaient en ville, les gens rentraient chez eux dans les campagnes le soir.
Les villes sont habitées par des commerçants et des fonctionnaires et les week-ends, il était courant que ces derniers aillent en « changement d’air » à la campagne, comme on disait à l’époque. Le peuple marie-galantais est très terroir et souvent chacun garde la tradition de cultiver son petit jardin tout en s’occupant d’un petit élevage pour le « débrouillardisme » ! 
   
Le créole est et a toujours été omniprésent. Les familles  de l’ancienne génération parlent à 80% le créole et Marie Galante est un berceau de mots typiquement créoles n’ayant même pas la traduction française quand ce n’est pas directement un mot d’origine africaine. (tolinanni – tchoukoudmèl etc.).

Très souvent, déjà dans les années 60, certains enseignants du primaire et des collèges affinaient leur pédagogie pour une meilleure compréhension en expliquant en créole. Dans les campagnes les gens ont toujours parlé le créole – dans les champs – sur les marchés – etc. …

Ainsi, pour mieux comprendre l’épopée de cette langue il serait intéressant en parallèle de suivre la trace des courants de pensées qui serviront de repère  pour l’évolution culturelle et sociologique de nos îles.

Le premier mouvement littéraire de Guadeloupe et de Martinique fut qualifié de « Doudouisme » ou de « régionalisme » avec des poètes tels que Daniel Thaly ou Victor Duquesnay. Il était question de remettre de délicate dissertation qui plagiaient les textes français de l’époque et en faisant avant tout l’apologie de l’esthétique occidentale ou en magnifiant la beauté de nos paysages et de nos doudous.

Ce terme de « doudouisme » et la littérature qu’il a engendrée sont restés comme des formes d’insulte à l’égard de nos pays qui commençaient à percevoir au fil du temps les limites économiques et sociologiques de la colonisation.

La langue et le parler créoles connurent une longue période d’obscurité voire d'obscurantisme et la réussite d’une famille quelconque venait de la réussite scolaire des enfants et surtout de leur degré de reniement de leur socle culturel créole.
Ainsi, dès les années 1910 – 1920, il y avait déjà des Noirs qui « faisaient la classe », comme on disait à l'époque ! 

Être instituteur était le signe d’une évidente réussite et l’ascenseur social a bien fonctionné jusqu’à la première crise du pétrole en 1973.

En 1946, avec la Départementalisation et l’arrivée de la Sécurité Sociale, nos territoires allaient sortir de l’insalubrité et les infrastructures modernes donnaient encore plus de valeur aux villes au détriment des campagnes de plus en plus délaissées ! Grâce à la scolarisation obligatoire  l’alphabétisation était en marche !

Il fallut attendre les années 30 pour oser entendre le grand cri de la Négritude, éructé par les plumes du Martiniquais Césaire, du Guyanais Damas, du Sénégalais Senghor et du Marie-Galantais Tirolien !

On entrait dans l’histoire de la littérature en rivalisant directement avec les grands lettrés de France et de ce monde !  Le « Doudouisme » avait vécu et dès lors, la grande période d’exigence et de revendication pointaient à l’horizon !

La Négritude n’a pas tenu compte du créole puisqu’elle est née directement par et dans cet effort des parents à vouloir faire réussir leurs enfants dans un esprit de rivalité et d’égalité d’intelligence avec les anciens maîtres. Dans la problématique que sous-tendait la revendication des auteurs de la négritude, chez Damas et Césaire en particulier, c’est-à-dire de la part de ceux qui avaient subi la déportation et la traite, il ne suffisait plus de devenir quelqu’un, il fallait être quelqu’un !

Ces mêmes parents, de 1848 à 1959, n’ont jamais parlé de l’esclavage – il ne fallait pas remuer ce passé – le sujet était tabou tout comme le créole ! C’était leur façon de faire le deuil d’une tragédie qu’il devait d’abord oublier et enfouir dans le ciment de l’histoire.

Après l’irruption de la Négritude, la question de l’esclavage sera de moins en moins taboue. Les intellectuels antillais (Fanon, Manville, Glissant, Niger, Tirolien, Rupaire etc.) exhument les grandeurs de l’Afrique sans défaillir. Il y a des résistances et c’est longtemps après que nous avons recueillis les fruits de leurs efforts, mais le séisme culturel était déjà à l’œuvre !

Nos aînés baragouinaient un français mais ils voulaient et ils tenaient à le parler ! Ils  parlaient créole entre eux mais les enfants devaient s’adresser à eux essentiellement en français et en bon français. C’était comme une façon  de voir et de vérifier que l’enfant évoluait bien à l’école et dans le bon sens de l’éducation !

Je relève un extrait de « Rue Monte au ciel » de Simone Dracius qui dit : « En classe, au premier mot de patois, on vous punissait d’un carreau noir doublé d’un pensum. A la sonnerie, l’élève qui détenait encore le carreau d’infamie prenait un zéro pointé ». Elle rajoute un peu plus loin : « Sous le couvert de ta promotion et de l’éducation, on jugulait la langue créole, tout en cultivant, entre Créoles, la plus mesquine délation, la moquerie, les miasmes du mépris ».

S’il est vrai que le Créole est longtemps resté une langue paria en exil dans son propre berceau nous constatons au fil du temps que cet outil indispensable a permis de sauvegarder l’âme de la culture antillaise. Cet exil en fait était une apparence mais les gens pour survivre ne pouvaient plus se passer de l’élément majeur de leur communication et de leur consolation.

Qu’est-il advenu du Créole après le Mouvement de la Créolité ? Le Mouvement des Créolistes.

Avant d’en venir directement au courant de la Créolité, Edouard Glissant en 1967, souligne tout particulièrement l'importance des métissages culturels entre les civilisations européenne et africaine sur le territoire des Antilles. « Il utilise alors des exemples concrets comme celui du recours aux médecins et aux sorciers en Martinique et en Guadeloupe. Il est aussi d’accord sur le fait que la pratique de la langue française aux Antilles résulte du métissage de ces deux cultures ».

« Ce qui lui paraît intéressant dans la civilisation des Antilles, c'est qu’elle témoigne d'un effort pour harmoniser des éléments de civilisation très divers qui se sont affrontés au cours de l'histoire, qui n'ont pas été mariés sans combat, sans heurts, sans fracas, mais qui réussissent petit à petit à créer un nouveau style de civilisation qui emprunte à la fois aux civilisations africaines et aux civilisations occidentales ».

Il propose également le concept de « créolisation » qu'il définit comme le « métissage qui produit de l'imprévisible » et qui est pour lui le « mouvement perpétuel d'interpénétrabilité culturelle et linguistique » qui a pour vocation d’accompagner la mondialisation culturelle. Cette mondialisation met en relation des éléments culturels éloignés et hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles ». Glissant, qui est à la fois poète, romancier, dramaturge, essayiste et philosophe définit cette forme très particulière de la dialectique par une expression explosive qui n’est pas sans rappeler le big-bang primordial : « l’esthétique du chaos » !

Ses derniers travaux s'articulent autour du concept de « tout-monde »  et interrogent l’universalité. « Il cherche à développer une approche poétique et identitaire pour la survie des peuples au sein de la mondialisation au travers de concepts comme la « mondialité » en opposition à la mondialisation économiste ou d'identité-relation contre l'affirmation des identités-racines qui génèrent d'innombrables conflits à travers le monde ».
Le processus de créolisation étant, bien sûr, dans la logique de son discours la dynamique qui est chargée de servir d’épine dorsale à cette mondialité.

Ses réflexions sur l’identité antillaise ont inspiré une génération de jeunes écrivains antillais qui formera le mouvement de la créolité. Nous retrouvons alors au début des années 90 ce courant mené par Bernabé –
Confiant et Chamoiseau.

En 1989 paraît un manifeste littéraire intitulé Éloge De La Créolité
« La Créolité chante la totalité du réel antillais et pas seulement la mer bleue, le sable blanc et les colibris. Elle s'intéresse aux quimboiseurs, aux djobeurs, aux coupeurs de canne, aux femmes de mauvaise vie, etc., brisant ainsi le cliché des îles paradisiaques.
Elle écarte toute connotation raciale ou raciologique. Le mot « créole » viendrait du latin creare qui signifie « créer/se créer » et désigne les nouvelles réalités des Amériques à la suite de la conquête européenne, en particulier dans l'archipel des Antilles.
La Créolité ne se résume pas à ce seul archipel puisqu'elle vise, dans un premier temps, à englober les zones créolophones des îles du Cap Vert et de l'océan Indien (Maurice, Seychelles, Réunion), puis dans un second temps, les populations mixtes apparues dans les banlieues des grandes métropoles du monde occidental (Paris, Londres, New-York etc. ...) ».
Les Auteurs du mouvement défendent une certaine écriture créole mélangée avec le français ce qui donne une nouvelle couleur de littérature dans le fond comme dans la forme.

Plus qu’une langue, le Créole est devenu un « état d’être » voire une « raison d’être » ! Procédé identitaire et sociologique par la réalité créole dans la Caraïbe !

On peut dire de ce nouveau mouvement littéraire, même si on n’est pas toujours d’accord avec ses fondements, qu’il a permis de donner naissance à un nouveau courant littéraire, celui des « Créolistes » qui défendent eux la langue en écrivant et publiant sans proscrire le créole de leurs créations littéraires. Alors que les auteurs de la Créolité écrivent et publient certes en créole mais, il faut remarquer que leur publication majeure est souvent en langue française.

Avec l’historique des différents courants nous observons la progression intellectuelle des Antilles – nous voyons aussi la progression et la percée de la langue qui, sortant du domaine de la singerie est aujourd’hui un étendard portant en avant tout les apports de l’histoire en un seul et même bouquet, pour un seul et même pays et un seul et  même peuple.
Peuple naissant dans les tumultes de l’histoire se retrouvant pour un même avenir.

Dans l’effort de la démocratisation du créole, on constate que toutes les races des Antilles se sont appropriées ce parler. A partir de l’abolition de l’esclavage les usiniers ont fait l’effort pour s’exprimer dans la langue du pays. En réalité les usiniers, békés, blancs-pays ou blancs créole ont toujours parlé le créole ; c’est dans cette langue qu’ils donnaient des ordres aux esclaves. Ils parlent le créole aussi bien que n’importe quel créole !
Ainsi, dés le début XXème siècle tout le monde économique échangeait en créole. Les colons se mirent très rapidement à pratiquer cette langue car il fallait bien faire fonctionner les distilleries et les usines. A force, il a fini par faire l’unanimité.
Ce qu’il y a de beau aujourd’hui, c’est que toutes ces composantes des sociétés créoles revendiquent aussi leur part créole. Le Blanc – l’Indiens – le Libanais -  le Noir …  tous les mélanges du métissage - tout le monde est fier et revendique haut et fort son antillanité – sa créolitude et son apport dans ce gigantesque bouillon de culture.
En Guadeloupe aujourd’hui, il y a autant de noirs dans les cérémonies indiennes que des Indiens ! Même le métro qui arrive se créolise en moins d’un an, contrairement à une certaine époque où ils vivaient sans se mêler à la population locale.
Il prend des cours de créole et veut s’intégrer à la culture. Il y a autant de métro défilant dans le carnaval que des Antillais.
Il faut définitivement noter que la Caraïbe est enfin devenue un sixième continent et que l’histoire de la renaissance du monde ne passera peut-être pas ou plus, par des sociétés un peu à bout de souffle, mais par les sociétés émergentes – nouvelles – récentes où le mélange des hommes ouvrent désormais sur une humanité nouvelle ! 

Mouvement de la Caribénitude !

Après le Doudouisme, la Négritude, l'Antillanité et la Créolité, datant de 1990, je pense qu'il est temps de tourner ces pages un peu jaunies et tristement poussiéreuses par rapport à la vraie réalité de nos îles qui souffrent d’une violence dont nous savons tous quelles en sont les causes !  
« Nous devons désormais nous instituer dans la réalité de notre pays, de notre histoire, mais aussi dans notre géographie pour une économie mieux réussie et mieux maîtrisée ! Plus que penser la Caraïbe, nous avons le devoir de la vivre, de la faire, et surtout d'en prendre goulûment part. La francité nous a écartés de nos frères caribéens, parfois en les regardant de haut ou de trop loin. Nos enfants et notre peuple réclament dès lors un sentiment pro-caribéen davantage tourné dans le réel que dans le virtuel !  Il est temps pour nous, Guadeloupéens, Martiniquais et Guyanais, de proclamer notre appartenance totale à cette âme caribéenne ».
« La Caribénitude » est un courant de revalorisation et d'affirmation définitive du positionnement des populations de la Caraïbe dans leur histoire, leur espace et dans la perspective d'un avenir commun où l’économie équitable sera un outil prédominant et primordial.
 Caribénitude, celle qui allie la Négritude de Césaire, le Tout-Monde de Glissant dans sa créolisation généralisée et enfin la Créolité de Bernabé, sans oublier l'apport des Créolistes. La boucle sera ainsi bouclée en synthétisant les différentes approches en un seul bouquet triomphant, en une oriflamme commune, défendant une Caribénitude universelle comme le projet d’un humanisme nouveau où l’homme doit être le véritable centre de tous les débats.
Nous  voyons l'unification culturelle de la Caraïbe comme possibilité d’assoir un avenir solide et efficace. Devenir et être résolument caribéens, fiers de l'être et frères de sang, quel que soit l'endroit d'origine de la Caraïbe anglophone, hispanophone, néerlandaise ou francophone. La Caraïbe est l’affaire de tous !

Conclusion
La réalité de la langue a engendré une sociologie – une façon de marcher – une façon de manger – de danser etc. …  et notre créole, malgré ses particularismes, dans son essence et dans son histoire est le même !
Martinique – Guadeloupe – Guyane – Marie Galante - Haïti ou ailleurs en dehors de l’accent, nous nous comprenons tous et nous pouvons même dire, grâce à la mobilité des hommes et de leur intelligence, qu’il commence à prendre forme un créole commun mélangeant toutes ces îles de la Caraïbe. Dans cent ans, il est probable que  le ich, le to, le map,  le ija, le ida, le menm biten menm bagay … ne feront  plus qu’un.
Le créole appartient à toutes les composantes de cette société      multiculturelle et multiraciale ! Le créole appartient à qui l’aime – à tout le monde et pourquoi pas déjà à l’universel comme une pierre sacrée à l’édifice de l’humanité ! 

Bernard Leclaire
Marie-Galante le, 26/10/13.



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